Numéro 6 / L'indisponible
La « pandémie néolibérale » qui affecte notre société a cette particularité de nous représenter le monde comme un point d’agression contre lequel il faut résister, qu’il convient de dominer, de maîtriser, de « réguler ». Entre rationalité technique, accélération et désenchantement des rapports sociaux, le monde disponible est à la fois visible, atteignable, maîtrisable et utilisable. Les sociétés développent en ce sens des moyens techniques pour parvenir à parcourir tous les recoins de la planète, voire du système solaire. La science progresse chaque jour en repoussant les limites du possible et développe les champs de la connaissance afin de ne rien laisser au hasard.
Pourtant, comme l’estime le philosophe et théoricien critique allemand Hartmut Rosa, notre relation au monde pourrait être autrement plus riche si nous assumions son indisponibilité et si nous consentions à penser autrement les possibles. Comment créer une relation de réciprocité dans un monde où l’inattendu est insupportable ? Faire résonance avec le monde, en opposition à un rapport qui lui serait aliéné, serait susceptible de faire émerger un meilleur devenir commun. Inspirée par l’ouvrage Rendre le monde indisponible (2018), la nouvelle équipe de la revue Cahier d’école dévoile des contributions étudiantes portées par la thématique de l’indisponible.
La restructuration des pratiques de travail a rarement été aussi manifeste que lors de la dernière année, alors que le télétravail s’impose dans notre quotidien. Le texte de Claire Estagnasié nous amène à voir les contradictions de ces pratiques et les manières dont ces dernières bouleversent notre rapport à la disponibilité et à l’indisponibilité au travail.
Ancré dans le domaine de la physique, le texte de Mirjam Fines-Neuschild présente quant à lui une réflexion épistémologique audacieuse; il examine de manière critique la quête et les méthodes de la découverte scientifique qui contournent l’indisponible en physique. En relayant les mobilisations citoyennes opposées à des projets extractivistes, Sara Germain poursuit de son côté la discussion sur les conséquences de perpétuer une relation d’agression avec le monde dans le but de le rendre disponible. En prenant comme cas d’étude le projet d’extraction Authier Lithium, l’autrice illustre le déséquilibre des rapports de pouvoir entre l’entreprise privée et les citoyen·ne·s dans la relation à l’environnement. Toujours à cheval entre leurs statuts d’étudiantes et de mères, Chanel Gignac et Émilie Tremblay lancent un cri du coeur contre le caractère irréconciliable de notre modèle universitaire bâti autour d’une représentation faussement universelle de la personne étudiante. Elles font ainsi apparaitre le poids du déni de reconnaissance du travail de care qui pèse sur les mères-étudiantes. Enfin, dans son texte de création, Maggie Kogut nous raconte une histoire à la fois personnelle et collective d’une sur-disponibilité au quotidien, indissociable d’une incapacité dans le réel à pouvoir agir sur les crises qui traversent le monde.
Pour terminer, nous saluons nos collègues qui nous ont fait confiance en nous passant le flambeau de la revue Cahier d’école. Nous tâcherons humblement de faire perdurer ce merveilleux projet. Nous remercions enfin les personnes qui ont collaboré à la réalisation de ce numéro : Myriam pour la révision linguistique des textes, Hugo pour le graphisme, Maxim et Justine pour les premières évaluations, et finalement l’ensemble des autrices précédemment citées qui ont contribué au numéro.
Bonne lecture !
L’équipe de Cahier d’école
Claire Estagnasié
Mirjam Fines-Neuschild
La participation citoyenne à l’épreuve de l’extractivisme :
Le cas d’Authier Lithium
Sara Germain
Emilie Tremblay et Chanel Gignac
Maggie Kogut