Pandémie et parents aux études :
une exacerbation des effets de la non-reconnaissance du travail du care

Les mesures mises en place dans le contexte de pandémie par le gouvernement et les institutions d’enseignement sont peu adaptées aux différentes réalités de la population étudiante1. En effet, depuis les années 1990, plusieurs recherches démontrent que la que la réalité étudiante prend des formes de plus en plus diverses2. Le nombre de parents aux études est entre autres en augmentation constante. Leurs réalités, souvent méconnues, engendrent des défis supplémentaires pour ces personnes étudiantes qui se retrouvent souvent isolées au sein des institutions d’enseignement.

À partir de nos propres postures de parents étudiantes, nous mobilisons une perspective féministe 345 afin d’aborder les défis de la conciliation entre la vie familiale et les études, défis qui sont exacerbés par la pandémie et qui contribuent à amplifier la marginalisation de ce groupe hétérogène dont nous faisons nous-mêmes partie.

Qui sont les parents aux études?

Au Québec, la réforme de l’éducation des années 1960 a démocratisé les études postsecondaires. Conséquemment, plusieurs personnes qui n’y avaient pas accès se sont retrouvées au sein des institutions universitaires, notamment les femmes6. Cette démocratisation a donc permis de diversifier la population étudiante. Si, au début des années 1960, les parents aux études étaient peu nombreux,

[…] la maternité précoce, l’allongement des études, le retour aux études interrompues par le travail ou les responsabilités familiales, une réorientation de carrière, une spécialisation, [sont] autant de facteurs qui font en sorte que les femmes – et les hommes – qui doivent concilier les responsabilités parentales et les études ne sont plus l’exception6.

Les données existantes, bien qu’insuffisantes, nous permettent de tracer un portrait sommaire de ce groupe. Ainsi, selon le rapport d’enquête sur les Indicateurs de conditions de poursuite des études (ICOPE7) de 2016, 22 % des personnes étudiantes du réseau des universités du Québec (UQ) assumaient des responsabilités parentales8. Les statistiques du programme d’aide financière (AFE) de 2018-2019, quant à elles, recensaient 26,6 % des bénéficiaires9 qui avaient au moins un enfant à charge10.

À l’Université du Québec à Montréal (UQAM), le nombre de parents aux études serait évalué à 17 %11. Sur ce nombre, près de 80 % sont des femmes12. Il s’agit donc d’un enjeu qui touche particulièrement les femmes, dont une proportion significative sont cheffes de famille monoparentale.

Les parents aux études ne sont pas un groupe homogène, leurs réalités et leurs vécus sont variés. En plus de leur parentalité, ces personnes étudiantes peuvent être confrontées à de multiples réalités qui entravent également leur projet d’études. Notons par exemple les conditions socio-économiques, le statut d’immigration, le statut familial, l’identité de genre, avoir des enfants avec des défis particuliers ou encore celles qui doivent elles-mêmes conjuguer avec une situation de handicap. Il importe donc d’adopter une posture féministe afin de permettre une réflexion sur le rôle des institutions d’enseignement supérieur dans l’inclusion des parents aux études.

Les effets du conflit de responsabilité

Les parents aux études vivent des conflits de responsabilité qui diffèrent à la fois de ceux des personnes étudiantes non parents et de ceux des travailleur⋅euse⋅s De plus en plus de personnes étudiantes doivent faire face à de nombreux défis autres que ceux reliés aux aspects universitaires. Pour les parents aux études, ces conflits se manifestent entre autres dans la multiplication, l’enchevêtrement et la priorisation des tâches qui reposent d’abord sur le bien-être de leur(s) enfant(s). Cela dit, le soin des enfants et les tâches domestiques sont, encore aujourd’hui, majoritairement assumés par les femmes. Selon le Conseil du statut de la femme, en 2015, les mères d’enfant de 4 ans ou moins accomplissaient quotidiennement cinq heures et 20 minutes de travail domestique, soit une heure et demie de plus que les pères13. Les mères aux études ont donc une charge de travail supplémentaire.

La culture de performance et de compétition omniprésente au sein des établissements d’enseignement complexifie également la conciliation famille-études-travail, ce qui peut compromettre la réussite des parents aux études8. Le temps que ceux et celles-ci consacrent aux études est souvent inférieur à celui investi par les autres personnes étudiantes et entrecoupé d’autres tâches. S’il s’agissait d’une réalité avant la pandémie, la complexité de cette conciliation s’est amplifiée pendant celle-ci. En effet, les exigences de performance, loin d’avoir diminuées, deviennent plus difficiles à atteindre avec des enfants à la maison. Devoir assister à nos cours, faire nos examens et/ou soutenances en ligne, et ce, en présence d’enfants, ou même en gérant l’école à la maison, affecte notre concentration et, conséquemment, multiplie les obstacles à la réussite. Si certaines personnes du corps enseignant ont démontré de l’empathie et de la compréhension envers notre réalité, plusieurs se sont également montrées intransigeantes. On peut notamment penser au refus catégorique d’enregistrer leur cours ou de permettre de faire un travail seul·e plutôt qu’en équipe14. L’ensemble de ces facteurs peut entraver l’accès aux bourses d’excellence. Pourtant, les parents aux études ne sont pas moins compétent·e·s que les autres personnes étudiantes, ils et elles ont seulement moins de temps à accorder à leur projet d’études15.

En plus de cette culture de performance, les personnes étudiantes sont souvent en grande précarité financière. Le poids financier est d’autant plus grand pour les parents aux études, qui ont des enfants à charge. En 2011, « les dépenses liées spécifiquement au logement et à la nourriture comptent pour 77,3 % de l’utilisation des revenus des [parents aux études] comparativement à 27 % chez les [étudiants·e·s] n’ayant pas d’enfant à charge »16. De plus, plusieurs des parents aux études suivent leur programme d’études à temps partiel, ce qui leur bloque l’accès à la majorité des bourses d’études et amplifie leur précarité financière, laquelle peut prolonger le projet d’études et même dans certains cas, aller jusqu’à son abandon. Selon le sondage du CSPE-UQAM mené à l’hiver 2020, plus de la moitié des parents aux études de l’UQAM qui ont interrompu leurs études l’ont fait pour des motifs familiaux17. Cette réalité est amplifiée pour plusieurs parents aux études internationaux puisqu’en plus de frais supplémentaires liés à leurs études, ces personnes n’ont pas accès aux tarifs réduits pour les services de garde ni pour les assurances publiques de santé18. En somme, pour plus de la moitié des répondant·e·s du sondage, un soutien financier est prioritaire afin d’assurer une meilleure conciliation famille-études19.

En ce qui a trait à la différence entre les parents aux études et les parents sur le marché du travail, elle est financière, mais également légale, car aucun cadre législatif ne reconnaît les droits des parents aux études. Bien qu’imparfaite, la Loi sur les normes du travail ou encore la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) protège les travailleur·euse·s. Les parents aux études sont plutôt soumis·e·s à l’arbitraire des règles administratives des institutions d’éducation et aux jugements personnels de leurs enseignant·e·s. Des commentaires tels que : « Une grossesse, ça se planifie »; « Si tes enfants nuisent à tes études, arrête tes études », sont souvent entendus par les mères aux études. Au-delà de ces jugements de valeur, l’absence de reconnaissance de ce que représentent les responsabilités parentales rend parfois le corps enseignant craintif quant à l’offre d’accommodements, de peur d’être inéquitable envers les personnes étudiantes non parents. Alors que le gouvernement a mis plusieurs mesures de conciliation famille-travail en place, nous constatons peu de considération pour les parents aux études.

Conclusion

Les effets de la pandémie sur les parents aux études ont amplifié les défis qu’ils et elles éprouvent. La reconnaissance du travail du care serait souhaitable à une meilleure conciliation famille-études-travail. Elle permettrait de reconnaitre les inégalités existantes entre les hommes et les femmes dans la conciliation famille-études-travail comme étant structurelles et non pas comme de simples choix basés sur des valeurs personnelles. En effet, les responsabilités du travail du care reposent davantage sur les femmes20. En absence de reconnaissance du temps que représente ces responsabilités, les parents aux études sont confrontés à des mesures arbitraires de conciliation. Les difficultés de conciliation famille-études-travail pourraient être en partie palliées par des mesures prises au niveau provincial, fédéral ainsi qu’au sein des institutions d’enseignement supérieur21. La mise en place d’une loi-cadre sur la conciliation famille-études-travail au niveau provincial contribuerait à favoriser la réussite d’un groupe qui, rappelons-le, représente environ 20 % de la population étudiante12. La pandémie a accentué les embuches à la réussite que rencontrent l’ensemble de la population étudiante, certes, mais ses effets sont d’autant plus importants sur les parents aux études et leur famille, et plus particulièrement sur les femmes. Comme mentionné, les responsabilités parentales s’ajoutent aux nombreuses autres situations qui complexifient le projet d’études. L’absence de mesures claires, en ce qui trait de la conciliation famille-études-travail, exacerbe les difficultés de ces parents aux études.

Emilie Tremblay et Chanel Gignac

SECTION : RECHERCHE

1

Une personne étudiante dite traditionnelle est âgée de moins de 20 ans à son arrivée à l’université, admise sur la base d’un DEC, qui n’a pas interrompu ses études durant une période de plus d’un an et dont le parcours se poursuit selon un régime d’études à temps plein .

2

Conseil supérieur de l’éducation. Parce que les façons de réaliser un projet aux études universitaires ont changé… 2013. http://www.specs-csn.qc.ca/site/publications/divers/Conseil-superieur-education/2013-06_projet-etudes-universitaires.pdf?fbclid=IwAR2zukWjfPB7cB-KWa42D_Id5bYRzFSi-hDJWR-_5h68QcBzK9WoOWRGgGI. Publié en juin 2013. Consulté le 18 mai 2021.

3

Notre posture est basée sur les travaux du féminisme du care. Sophie Bourgault et Julie Perrault soulignent que ce champ d’études aspire « à transformer les conceptions sociales dominantes » qui touchent « les inégalités structurelles et aux enjeux de la domination envers les femmes ». À l’instar de celles-ci, Patricia Paperman précise que les études qui s’y insèrent possèdent un aspect éthique et politique qui offre une perspective critique sur nos sociétés et sur « les rapports de pouvoir qui configurent la division sociale, raciale et sexuelle du travail [du] care ».

4

Bourgault S. Perrault J. Introduction : Le féminisme du care, d’hier à aujourd'hui. Dans: Perreault J. Bourgault S. dir, Le care: éthique féministe actuelle. Montréal: Éditions du Remue-ménage; 2015: 9-25.

5

Paperman P. Le care comme connaissance et comme critique. Dans: Perreault J. Bourgault S. dir, Le care: éthique féministe actuelle. Montréal: Éditions du Remue-ménage; 2015: 47-61.

6

Conseil du statut de la femme. Étudiante et mère un double défi ; 2004. https://www.csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/etudiante-et-mere-un-double-defi-les-conditions-de-vie-et-les-besoins-des-meres-etudiantes.pdf. Consulté le 25 avril 2021.

7

Le projet ICOPE (Indicateurs de Conditions de Poursuite des Études) vise à faire un recensement volontaire des nouvelles personnes inscrites du réseau UQ.

8

Bonin S. Girard S. ICOPE 2016 : rapport d’enquête. Université du Québec. http://www.uquebec.ca/dri/publications/rapports_de_recherche/rapport_enquete_icope_2016_vf_3.pdf. Publié en octobre 2017. Consulté le 11 janvier 2021.

9

Notons que les données de l’AFE n’offrent pas une estimation exacte des parents aux études puisque ce ne sont pas l’ensemble des parents qui y ont accès et que les critères d’admissibilité sont variables.

10

Aide financière aux études. Rapports statistiques de l’aide financière aux études, Rapport 2011-2012 jusqu’à 2017-2018. http://www.afe.gouv.qc.ca/toutes-les-publications/detail/rapports-statistiques-de-laide-financiere-aux-etudes/. Consulté le 11 janvier 2021.

11

Corbeil C. Descarries F. Gariépy G. et Guernier D. Parents-étudiants de l’UQAM. Réalités, besoins et ressources. Cahiers de l’IREF, collection Agora. 2011; 1. https://iref.uqam.ca/wp-content/uploads/sites/56/2020/02/Collection_Agora_no_1_23_fevrier_2011-en_ligne.pdf. Consulté le 11 janvier 2021.

12

Bonin S. Être parent aux études universitaires, Conséquences pour le projet de formation et la poursuite des études. Université du Québec. http://www.uquebec.ca/dri/publications/rapports_de_recherche/etudiants-parents_uq_versionfinale_oct2014.pdf. Publié en octobre 2014. Consulté le 11 janvier 2021.

13

Le conseil du statut de la femme. Portrait des Québécoises. https://csf.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/Por_portrait_quebecoises.pdf. Publié en 2018. Consulté le 26 mai 2021.

14

Conscientes de l’enjeu que représente l’enregistrement de cours, notamment pour la propriété intellectuelle, il serait souhaitable de pouvoir prendre arrangement avec les professeurs-es ou avoir accès à un service offert par l’Université lorsque les parents aux études doivent s’absenter pour des motifs familiaux.

15

FAECUM. Conciliation famille-travail-études : Soutien institutionnel et associatif. http://www.faecum.qc.ca/ressources/documentation/avis-memoires-recherches-et-positions-1/conciliation-famille-travail-etudes. Publié le 20 novembre 2019. Consulté 25 avril 2020.

16

Armstrong H. Bulletin Quelle famille ? Famille Québec. Vol 6 (1); Hiver 2018. 1-10. https://www.mfa.gouv.qc.ca/fr/publication/Documents/quelle-famille-vol6-no1hiver18.pdf.

17

CSPE-UQAM. Quels sont les défis de la conciliation famille-études…travail? https://cspeuqam.com/quels-sont-les-defis-de-la-conciliation-famille-etudes-travail/. Consulté le 23 avril 2021.

18

Le Québec a une entente de sécurité sociale qu’avec seulement dix pays. Cette entente permet l’accès à la RAMQ. Une majorité de parents aux études qui proviennent de l’international en sont exclus.

19

CSPE-UQAM. Qui sont les parents étudiants.es de l’UQAM? https://cspeuqam.com/qui-sont-les-parents-etudiants-es-de-luqam/. Consulté le 23 avril 2021.

20

Hamourouni N. Vers une théorie du care : entendre le care comme service rendu. Dans: Perreault J. et Bourgault S. dir, Le care: éthique féministe actuelle. Montréal: Éditions du Remue-ménage; 2015:71-93.

21

Prenons par exemple l’adoption d’une politique familiale à l’Université Laval suite au long militantisme de l’APÉtUL ou l’Université de Sherbrooke.