Le ferment et la grâce, les pratiques druzes
au défi du « savoir-taire »

Le ferment et la grâce, une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël1 est le fruit d’une étude de terrain menée sur plus de deux ans par l’anthropologue Éléonore Armanet. L’autrice s’intéresse aux « pratiques constitutives de l’appartenance druze [ainsi que] celles des représentations langagières qui éclairent partiellement ces pratiques »1(24). La méthode employée est celle de l’observation participante, conduite en arabe, au sein du village druze d’al-Buqaya en Haute Galilée. Musulmans hétérodoxes, les Druzes ont développé une foi particulière qu’ils appellent « unitaire ». Elle repose sur cinq piliers, nous explique Éléonore Armanet : 1) le devoir de véracité absolue entre les membres de la communauté, 2) l’obligation d’entraide entre Druzes, 3) le renoncement aux croyances autre que la foi unitaire, 4) l’approbation de toutes les actions d’Allah et 5) la soumission à la volonté d’Allah1(45). Aujourd’hui, on compte un million et demi de Druzes dans le monde. Les Druzes se revendiquent de « pure lignée arabe »1(41) et leur langue est très proche de l’arabe classique. Ils s’appliquent à se distinguer du reste de la communauté musulmane en soulignant leur rejet de la polygamie et leur refus de reconnaître Mohammed comme prophète.

La question du « faire », c’est-à-dire des pratiques, traverse l’ouvrage d’Éléonore Armanet. Du « savoir-être » domestique à la fabrication du pain, les pratiques druzes, fortement codifiées et contraignantes, en particulier pour les femmes, se mêlent au « savoir-taire » qui abrite, préserve et voile le « faire » druze.

Éléonore Armanet dit vouloir faire de son ouvrage un travail digne de son alliance avec les Druzes. « Plutôt que de l’expliquer, je donnerai à co-naître le monde druze dans la pérennité de mon ancrage en lui, de mon alliance avec lui »1(35)revendique-t-elle. Il est primordial pour l’ethnologue de sélectionner avec précaution ses notes de terrain pour ne pas trahir les secrets confiés par les femmes druzes lors de son séjour parmi elles mais aussi le contenu du livre saint qui doit être préservé et surtout abrité du regard non-druze. La lecture du livre saint par un non druze est d’ailleurs assimilée à un viol. Finalement, il s’agit, pour l’auteur, de rendre compte de pratiques imprégnées de sacralité et qui s’incarnent de façon particulière, mais qui ne s’énoncent pas. Considérée par les Druzes comme l’une des leurs, Éléonore Armanet fait le choix de se montrer digne de la confiance que lui ont témoigné les habitants d’al-Buqaya.

Le « faire » druze est indissociable des pratiques silencieuses de protection de la société druze que ses membres préservent de la modernité. Le fait d’« abriter » est central dans cette culture. Il s’agit tout d’abord d’abriter la communauté druze grâce à la pratique de l’endogamie et la croyance en la réincarnation des âmes druzes dans le corps de nouveaux nés. L’âme est druze avant même d’appartenir à une lignée, à un village ou à une famille, rapporte la sociologue. La foi doit également être protégée et même cachée. Ainsi, les chrétiennes qui arborent des colliers en croix sont jugées indécentes. L’idée du « sacré à protéger » s’incarne également dans le corps maternel qui doit être blotti au creux de la maison. Dès lors, une femme druze que l’on verrait faire des « va-et-vient » hors de chez elle serait déconsidérée. De la même façon, ces femmes doivent montrer leur gêne en présence d’un homme, s’habiller de façon sobre et couvrante mais aussi ne pas se dévoiler par la parole.

La chercheuse remarque aussi de quelle façon la fabrication de pain et le pain lui-même revêtent une dimension sacrée et dévoile, sans le dire, le rapport au monde druze. Éléonore Armanet raconte comment une des femmes druzes ramassa une miette de pain tombée au sol, la porta à son front et implora : « que le pain soit préservé ». La fabrication du pain est assurée par les mères qui, voilées et en habits propres, s’affairent à même le sol à « faire croitre la vie ». Une fois plié, le pain plat fabriqué par les ainées est emmailloté comme un bébé. On dit d’ailleurs du nouveau-né qu’il est une pâte. Pour l’anthropologue, la fabrication du pain qui se fait à l’intérieur des maisons est véritablement un acte de liturgie domestique qui transforme le foyer en sanctuaire.

La transmission des pratiques druzes se conforme au « savoir-taire » qui célèbre la discrétion et la réserve des membres de la communauté. Pour l’ethnologue, l’accès au « savoir-faire » ne va donc pas de soi.

L’ouvrage d’Éléonore Armanet me paraît particulièrement intéressant du point de vue méthodologique. En effet, la lecture de l’ouvrage soulève un certain nombre de questions auxquelles l’ethnologue s’est trouvée confrontée. L’auteur fait face au dilemme qui consiste à vouloir recueillir une parole druze tout en devant se taire pour se faire accepter. Puisque la discrétion et la parole rare sont des gages d’intégration, comment alors obtenir des Druzes un discours sur leurs pratiques ? On comprend alors que l’auteur opte pour des discussions moins formelles (elle supprime l’enregistreur et son cahier de notes des rencontres) et observe avec beaucoup d’attention le « savoir-taire » druze.

Un second questionnement méthodologique traverse ce travail : puisque les Druzes ont à cœur de valoriser leur communauté aux yeux du monde extérieur, comment avoir accès à une parole nuancée, peut-être transgressive ? Elle prend conscience de ce point lorsqu’une de ses amies, Samira, l’avise : « Quiconque du dehors vient parmi nous doit repartir heureux, avec une idée réjouie de notre communauté. Dis-nous ce que tu penses de nous : ce que tu trouves de bon, nous le renforcerons : ce que tu trouves de moins bon, nous l’atténuerons »1(97). Finalement, la marginalité lui parvient à travers les confidences des vieilles femmes qui s’insurgent d’une femme qui ne fait pas son pain ou d’une autre qui a laissé sa fille étudier à l’université malgré les interdits.

Une des limites de cet ouvrage me semble être l’analyse que fait l’auteur de « la » société druze en considérant les habitants du village d’al-Buqaya comme, à eux seuls, représentatifs des us et coutumes de la communauté druze dans son ensemble. On trouve sur internet de nombreux témoignages d’Israéliens qui, tout en se revendiquant Druzes, ont choisi de vivre en milieu urbain, dévoilés et adoptant des codes de vie plus libéraux. Éléonore Armanet propose en début d’ouvrage une description du village dans lequel elle ancre sa recherche et de ce fait la situe mais, par la suite, l’auteur emploiera le terme « les Druzes » pour désigner les habitants d’al-Buqaya. Pourtant, le village ne compte que 3000 Druzes qui cohabitent avec des chrétiens, des musulmans et des juifs.

Tout en honorant son « pacte d’adoption » par lequel elle préserve « le trésor druze […] d’un savoir-être au monde »1(64), Éléonore Armanet rend compte, avec pudeur et scrupule, des pratiques de la communauté et témoigne de la signification du « savoir-faire » druze. Elle relève notamment la dimension sacrée des pratiques quotidiennes et domestiques des femmes druzes avec lesquelles elle cohabite.

Margaux Klein

Section 4 : Recension

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Armanet, É. Le ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël.Toulouse :Presses universitaires du Mirail ; 2011.

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Armanet, É. Le ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël.Toulouse :Presses universitaires du Mirail ; 2011.

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Armanet, É. Le ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël.Toulouse :Presses universitaires du Mirail ; 2011.

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Armanet, É. Le ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël.Toulouse :Presses universitaires du Mirail ; 2011.

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Armanet, É. Le ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël.Toulouse :Presses universitaires du Mirail ; 2011.

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Armanet, É. Le ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël.Toulouse :Presses universitaires du Mirail ; 2011.

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Armanet, É. Le ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël.Toulouse :Presses universitaires du Mirail ; 2011.

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Armanet, É. Le ferment et la grâce. Une ethnographie du sacré chez les Druzes d’Israël.Toulouse :Presses universitaires du Mirail ; 2011.