Carnet de rêves

Chaque nuit je rêve d’entrer dans les profondeurs enflammées du monde souterrain, comme Perséphone. Je cueille des graines de grenade de la surface de ma peau pendant que je maudis mes ancêtres terrestres. Tout le monde que je connais est mort, ou pire encore – travaille pour survivre. Endormi, le royaume hallucinatoire du rêve est une vision d’une réalité alternative autant qu’une évasion du présent. Chaque nuit, j'accepte volontiers cette descente.

Le monde souterrain ne se trouve pas dans le noyau chaud de la terre, le magma et tout le reste. C'est ici, chez nous, au-dessus du sol, un domaine au-delà de la portée, de l'autre côté de la conscience. Au-delà du voile, comme on dit. C'est un territoire accessible non seulement par le rêve, mais aussi par des exercices d'imagination et même par des transformations mentales – des impulsions qui sont naturelles à l'humain, mais que les pouvoirs qui régissent notre corps et notre esprit nous apprennent à craindre. La terre, réduite à sa forme matérielle, devient une relique de ce désenchantement systémique. Certains disent que la terre est ronde. Certains disent qu’elle est plate. Moi, je dis qu’elle n'existe pas vraiment.

Les plaques tectoniques passent sous nous comme l'air passe dans nos poumons : inévitablement. Les fleurs ne fleurissent que parce qu'on leur demande. Les lois de la gravité ne fonctionnent que parce que nous croyons tous en cette fiction de la réalité. Imaginez si nous choisissions de croire aux rêves et à l'intuition plutôt que seulement à la logique et à la raison ! Dans notre paradigme prosaïque, nous acceptons inconditionnellement les frontières construites de l'espace et du temps. Ce qui reste est rejeté comme fantaisie, confiné au subconscient latent. Le rêve discrédité est en opposition constante avec le réel prescrit. Nous vivons dans des contraires afin de pouvoir nous souvenir de ce que nous oublions.

N’oublies-tu jamais de respirer ?

Le temps s’arrête quand on ne regarde pas. Tout comme l'histoire et la prophétie, le présent est une illusion que nous projetons sur le monde. Chaque moment est un fragment de l'âme éternelle. Nous confondons la réalité avec l'authenticité, car le mythe collectif ne fonctionne pas dans l’équation globale méticuleusement calculée. Comment pouvons-nous retrouver la sagesse que nous ne savons pas avoir perdue ?

La connaissance est le pouvoir, disons-nous. Nous achetons donc autant d'informations que possible des institutions de la connaissance – ceux d’entre nous qui ont le privilège. Mais payer pour la connaissance ne te mènera pas plus loin que payer pour le salut : rien acquis par le capital ne nous libérera du vide, c’est certain. Tant que l'université jouera selon les règles établies par les pouvoirs dominants, elle restera une industrie comme les autres.

Si la connaissance ne nous donne pas le pouvoir, elle nous permet au moins de nous classifier comme déités. C’est drôle, n’est-ce pas, qu’en milieu universitaire nous soyons toujours aussi incertains de tout, sauf de Nous-Mêmes ? Nous nous convainquons que nous avons chacun une Autorité sur la Pensée. Les Idées sont des sacrifices d'Imagination. La Recherche est Rituelle et les Thèses sont des Théologies. La Conclusion absolue est Péchée – nous n'offrons que des suppositions éclairées sur les autels de nos maîtres. Nous avons tous quelque chose de nouveau à dire, nous nous exclamons ! La plupart d'entre nous disent les mêmes choses, mais de différentes manières, tsé ? Nous sommes tous des enfants de Mère Dieu, dispersés comme des pépins rouges juteux à travers un réseau de temples qu’on appelle des Institutions. Si les pensées ne sont que des reflets de soi, nous devons tous être en train de nous noyer.

Gaïa, aidez-nous tous.

Je me réveille toujours de mon rêve juste avant de manger le fruit. Suspendue entre ici et ailleurs, j'ai faim et il fait encore noir – les étoiles ne brillent plus dans cette ville. Comme un satellite, je suis distante et seule. Confrontée à la corporalité, la vision disparaît instantanément, oubliée, supprimée.

La connaissance ne peut pas remplacer la conscience. L'information ne peut pas remplacer la compréhension. Tant que nous ne contestons pas l’ordre banal des choses, que nous ne décentralisons pas l’intellectualisme, que nous ne restaurons pas la valeur de toutes les cosmologies, rien de tout cela n’importe vraiment. Ces actes de penser et de faire. Ces actes d’hypothèse et de rigueur et de la référence croisée. Nous nous occupons de Concepts afin d’éviter de faire face à nos âmes. Nous nous cachons derrière des bibliographies en criant des vérités possibles sans rien déclarer. C’est un Peut-Être. Nous ne disons pas Oui ou Non, car si nous le faisions, nous n’aurions plus rien à faire. Nous cherchons dans le but de chercher. C’est ce qu’on fait vraiment ici.

La connaissance n'est pas sacrée. Savoir que la connaissance n'est pas sacrée ne te rend pas saint. Nietzsche n'est pas mort pour nos péchés, pour nous permettre de débattre de demi-vérités pour le reste de l'humanité. Cette année est l’année où nous sommes tous censés brûler en enfer, non ? C’est ce qu’ils disent chaque année, mais nous attendons toujours.

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Leona Nikolić

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